Le cas allemand
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Le cas allemand
Coronavirus : « Les Allemands continuent à manquer de masques et de combinaisons de protection »
Par rapport au degré d’avancement de l’épidémie de Covid-19, l’Allemagne a pratiqué précocement de nombreux tests. Thomas Wieder, notre correspondant à Berlin, a répondu à vos questions sur les spécificités de la méthode du pays.
Publié aujourd’hui à 15h34, mis à jour à 16h14
TBain de soleil en période de coronavirus le 12 avril, au Volkspark Friedrichshain, à Berlin. ANNEGRET HILSE / REUTERS
Le correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder, a répondu, dans notre direct lundi 13 avril, à vos questions sur l’évolution et la gestion de la crise sanitaire en Allemagne.
Selon le décompte donné ce matin par l’Institut de santé publique Robert-Koch, l’épidémie a fait 2 799 morts en Allemagne, soit en effet beaucoup moins qu’au Royaume-Uni (environ 11 000), qu’en France (14 000), qu’en Espagne (17 000) ou qu’en Italie (20 000). Quant au taux de létalité (c’est-à-dire le nombre de décès rapporté au nombre de cas repérés), celui-ci était beaucoup plus faible en Allemagne qu’ailleurs au début de l’épidémie, mais il s’est un peu rapproché depuis de celui des autres pays.
A cette mortalité plus faible il y a plusieurs explications, dont le dépistage. En effet, celui-ci a été plus massif et plus précoce que dans beaucoup d’autres pays (même si on reste loin du niveau de la Corée du Sud). Cela a permis d’identifier des personnes contaminées assez tôt – et notamment des porteurs asymptomatiques –, et donc de procéder à des mesures d’isolement qui ont sans doute évité une propagation trop rapide du virus, notamment chez les personnes âgées. Car c’est là une des différences importantes avec d’autres pays : la moyenne d’âges des personnes testées positives au Covid-19 en Allemagne est relativement basse : environ 49 ans (en Italie et en France, elle est d’environ 62 ans). A titre de comparaison : 17 % des personnes ayant contracté le virus en Allemagne ont plus de 70 ans, alors qu’elles sont 36 % en Italie.
Quand on regarde les cartes de diffusion de l’épidémie en Allemagne, on observe une relative constance depuis le début. Aujourd’hui, environ 80 000 cas, sur les 123 000 répertoriés dans l’ensemble du pays, se concentrent dans trois Länder (Bavière, Bade-Wurtemberg et Rhénanie-du-Nord-Westphalie), et, à l’intérieur de ces Länder, dans quelques cantons où la concentration de personnes isolées est forte.
Cette stabilité est un indice, car il y a eu dans certaines de ces zones des règles de confinement assez précoces et assez strictes, dont on peut supposer qu’elles ont permis de limiter la diffusion du virus, ou en tout cas de contenir sa propagation sur le plan géographique. Je pense en particulier à la Bavière, le premier des seize Länder à avoir instauré des restrictions de sortie du domicile, lesquelles sont de surcroît plus contraignantes qu’ailleurs.
J’ai déjà en partie répondu à la question des tests et de l’isolement. Je vous répondrai donc plus précisément au sujet des masques et des lits. S’agissant des masques, il y a aussi des problèmes de pénurie, assez comparables à ceux qu’on a observés en France, à la différence près qu’il n’y a pas eu, en Allemagne, de polémique sur le devenir des stocks au cours des dernières années. Aujourd’hui, les Allemands continuent de manquer de masques et de combinaisons de protection, même si la situation semble s’être un peu améliorée.
S’agissant des masques se pose comme ailleurs la question de leur port obligatoire quand viendra l’heure du déconfinement. Pour l’instant, celui-ci n’est obligatoire que dans une seule ville : Iéna, en Thuringe.
Beate Krupka, médecin généraliste, et son stagiaire Jose Persez, effectuent un test de dépistage dans la cour du cabinet médical, dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin, le 8 avril. MICHAEL KAPPELER / AP
L’Allemagne compte environ trente-trois lits en soins intensifs pour 100 000 habitants, quand l’Italie en compte douze, la France onze et l’Espagne dix environ. Cela dit, cette différence n’explique que partiellement le plus faible nombre de morts en Allemagne. Comme je l’ai dit, l’un des points qui semble différencier l’Allemagne d’autres pays comme l’Italie est, pour l’instant, la plus faible proportion de personnes âgées contaminées. Si vous avez moins de personnes à risques qui sont infectées, il est logique qu’il y ait moins de morts.
Depuis le début, c’est dans trois Länder de l’ouest du pays, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Cologne, Düsseldorf…), le Bade-Wurtemberg (Stuttgart) et la Bavière (Munich), que l’épidémie est la plus active. Environ 2 000 des 2 800 morts recensés en Allemagne l’ont été dans ces trois régions qui concentrent un peu moins de la moitié de la population du pays. Surtout pour la Bavière et le Bade-Wurtemberg, ce sont les régions les plus riches du pays (en ce sens il y a des analogies avec la Lombardie, en Italie), mais aussi des régions très denses (c’est vrai principalement pour la Rhénanie-du-Nord-Westphalie).
A l’inverse, l’est du pays est toujours beaucoup moins touché. Dès le début, cela a été expliqué par le fait que les densités de population y sont plus faibles et que les habitants y circulent plutôt moins qu’ailleurs. Sur les six plus grands aéroports internationaux qui existent en Allemagne, cinq sont en ex-Allemagne de l’Ouest.
En fin de semaine dernière, il y avait environ 2 300 patients en unités de soins intensifs en Allemagne. 78 % d’entre eux étaient équipés d’un respirateur artificiel. Sur le nombre total de lits en soins intensifs, environ 40 % étaient libres jeudi dernier.
Un lièvre court le long des avions immobilisés sur la piste de l’aéroport de Francfort, le 11 avril. MICHAEL PROBST / AP
Je pense que vous vouliez écrire que le système allemand est « bien moins centralisé ». Et effectivement, c’est le cas. A ce stade, je me garderais toutefois de faire un bilan. Au départ, le fédéralisme allemand a plutôt été critiqué à cause des délais qu’il implique en termes de prise de décisions.
Par exemple, dimanche 8 mars, quand le ministre de la santé français, Olivier Véran, a annoncé que « tous les rassemblements de 1 000 personnes [étaie]nt désormais interdits », son homologue allemand, Jens Spahn, a seulement dit, le même jour, qu’il « recommandait » la même mesure.
Pourquoi ? Parce que constitutionnellement le gouvernement fédéral n’a pas le pouvoir de décider d’interdire les rassemblements : c’est une décision qui doit être prise par les Länder. Du coup, dans certains Länder, comme Berlin, il a fallu attendre presque quatre jours pour que la « recommandation » du gouvernement fédéral soit adoptée par les autorités régionales…
Depuis, les choses sont un peu mieux coordonnées, et il y a globalement une harmonisation des décisions. Là où le fédéralisme est parfois mis en avant dans son côté positif, c’est sur la question des hôpitaux, des cliniques et des laboratoires : la santé étant une compétence essentiellement régionale, les régions les plus riches disposent d’un taux d’équipement très élevé en la matière. Or ce sont aussi, pour l’instant, parmi les plus touchées par l’épidémie, comme la Bavière et le Bade-Wurtemberg.
Un membre du personnel soignant dans l’unité de soins réservée aux patients malades du Covid-19 à l’hôpital Havelhoele de Berlin, le 6 avril. FABRIZIO BENSCH / REUTERS
Pour être précis, ces mesures n’ont pas été « jugées » inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle fédérale. En revanche, certains juristes considèrent qu’elles le sont. Je pense par exemple à l’avocat Niko Härting, professeur honoraire à la Hochschule für Wirtschaft und Recht [université d’économie et de droit], à Berlin, qui s’est exprimé en ce sens dans le Spiegel il y a quelques jours.
Quoi qu’il en soit, ce débat existe en Allemagne, car depuis le début, les juristes – dont la place dans la société allemande est centrale – sont nombreux à veiller de façon très attentive au respect des libertés publiques, et notamment au fait que les mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie ne bouleversent pas les équilibres institutionnels. C’est pour cela, d’ailleurs, que le gouvernement fédéral n’a jamais évoqué la possibilité de recourir à l’état d’urgence, ce que lui permettrait la Loi fondamentale, et ce qui aurait pour effet de limiter le pouvoir des Länder et de centraliser les décisions.
Mais on touche là à quelque chose de très sensible en Allemagne, lié à l’histoire et à la culture politique du pays, où l’idée de concentration des pouvoirs suscite toujours une très grande méfiance. A ce titre, je pense que la popularité exceptionnelle dont jouit aujourd’hui Angela Merkel (environ 80 % d’opinions favorables) est en partie liée au respect qu’a son gouvernement, jusqu’à présent, des équilibres de pouvoirs traditionnels entre l’Etat fédéral et les Länder.
Par rapport au degré d’avancement de l’épidémie de Covid-19, l’Allemagne a pratiqué précocement de nombreux tests. Thomas Wieder, notre correspondant à Berlin, a répondu à vos questions sur les spécificités de la méthode du pays.
Publié aujourd’hui à 15h34, mis à jour à 16h14
TBain de soleil en période de coronavirus le 12 avril, au Volkspark Friedrichshain, à Berlin. ANNEGRET HILSE / REUTERS
Le correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder, a répondu, dans notre direct lundi 13 avril, à vos questions sur l’évolution et la gestion de la crise sanitaire en Allemagne.
Alain29 : Comment expliquer le nombre absolu de décès liés au Covid-19 en Allemagne ? Le dépistage a pu améliorer le taux de mortalité mais pas le nombre absolu. Les Allemands auraient-ils une méthode différente pour les comptabiliser ?
Selon le décompte donné ce matin par l’Institut de santé publique Robert-Koch, l’épidémie a fait 2 799 morts en Allemagne, soit en effet beaucoup moins qu’au Royaume-Uni (environ 11 000), qu’en France (14 000), qu’en Espagne (17 000) ou qu’en Italie (20 000). Quant au taux de létalité (c’est-à-dire le nombre de décès rapporté au nombre de cas repérés), celui-ci était beaucoup plus faible en Allemagne qu’ailleurs au début de l’épidémie, mais il s’est un peu rapproché depuis de celui des autres pays.
A cette mortalité plus faible il y a plusieurs explications, dont le dépistage. En effet, celui-ci a été plus massif et plus précoce que dans beaucoup d’autres pays (même si on reste loin du niveau de la Corée du Sud). Cela a permis d’identifier des personnes contaminées assez tôt – et notamment des porteurs asymptomatiques –, et donc de procéder à des mesures d’isolement qui ont sans doute évité une propagation trop rapide du virus, notamment chez les personnes âgées. Car c’est là une des différences importantes avec d’autres pays : la moyenne d’âges des personnes testées positives au Covid-19 en Allemagne est relativement basse : environ 49 ans (en Italie et en France, elle est d’environ 62 ans). A titre de comparaison : 17 % des personnes ayant contracté le virus en Allemagne ont plus de 70 ans, alors qu’elles sont 36 % en Italie.
Rv46 : Comment expliquer la différence du nombre de décès entre la France et l’Allemagne, du simple au triple ? Est-ce dû au choix des méthodes de lutte contre la propagation du virus ? Est-ce leur système de santé ?
Quand on regarde les cartes de diffusion de l’épidémie en Allemagne, on observe une relative constance depuis le début. Aujourd’hui, environ 80 000 cas, sur les 123 000 répertoriés dans l’ensemble du pays, se concentrent dans trois Länder (Bavière, Bade-Wurtemberg et Rhénanie-du-Nord-Westphalie), et, à l’intérieur de ces Länder, dans quelques cantons où la concentration de personnes isolées est forte.
Cette stabilité est un indice, car il y a eu dans certaines de ces zones des règles de confinement assez précoces et assez strictes, dont on peut supposer qu’elles ont permis de limiter la diffusion du virus, ou en tout cas de contenir sa propagation sur le plan géographique. Je pense en particulier à la Bavière, le premier des seize Länder à avoir instauré des restrictions de sortie du domicile, lesquelles sont de surcroît plus contraignantes qu’ailleurs.
Soizic 22 : Quelles sont les dispositions adoptées en Allemagne qui ont permis à ce pays d’échapper à la catastrophe ? Plus de tests, de masques, de lits ? Mise à l’isolement des malades ?
J’ai déjà en partie répondu à la question des tests et de l’isolement. Je vous répondrai donc plus précisément au sujet des masques et des lits. S’agissant des masques, il y a aussi des problèmes de pénurie, assez comparables à ceux qu’on a observés en France, à la différence près qu’il n’y a pas eu, en Allemagne, de polémique sur le devenir des stocks au cours des dernières années. Aujourd’hui, les Allemands continuent de manquer de masques et de combinaisons de protection, même si la situation semble s’être un peu améliorée.
S’agissant des masques se pose comme ailleurs la question de leur port obligatoire quand viendra l’heure du déconfinement. Pour l’instant, celui-ci n’est obligatoire que dans une seule ville : Iéna, en Thuringe.
Beate Krupka, médecin généraliste, et son stagiaire Jose Persez, effectuent un test de dépistage dans la cour du cabinet médical, dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin, le 8 avril. MICHAEL KAPPELER / AP
L’Allemagne compte environ trente-trois lits en soins intensifs pour 100 000 habitants, quand l’Italie en compte douze, la France onze et l’Espagne dix environ. Cela dit, cette différence n’explique que partiellement le plus faible nombre de morts en Allemagne. Comme je l’ai dit, l’un des points qui semble différencier l’Allemagne d’autres pays comme l’Italie est, pour l’instant, la plus faible proportion de personnes âgées contaminées. Si vous avez moins de personnes à risques qui sont infectées, il est logique qu’il y ait moins de morts.
Allemande de cœur : Pourriez-vous nous dire quelle est la situation dans les différents Länder ?
Depuis le début, c’est dans trois Länder de l’ouest du pays, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Cologne, Düsseldorf…), le Bade-Wurtemberg (Stuttgart) et la Bavière (Munich), que l’épidémie est la plus active. Environ 2 000 des 2 800 morts recensés en Allemagne l’ont été dans ces trois régions qui concentrent un peu moins de la moitié de la population du pays. Surtout pour la Bavière et le Bade-Wurtemberg, ce sont les régions les plus riches du pays (en ce sens il y a des analogies avec la Lombardie, en Italie), mais aussi des régions très denses (c’est vrai principalement pour la Rhénanie-du-Nord-Westphalie).
A l’inverse, l’est du pays est toujours beaucoup moins touché. Dès le début, cela a été expliqué par le fait que les densités de population y sont plus faibles et que les habitants y circulent plutôt moins qu’ailleurs. Sur les six plus grands aéroports internationaux qui existent en Allemagne, cinq sont en ex-Allemagne de l’Ouest.
Shadok : Qu’en est-il du nombre de personnes hospitalisées et du nombre de personnes en réanimation ? L’Allemagne a-t-elle moins de morts parce qu’il y a moins de contaminés ou bien parce que les patients sont mieux pris en charge ?
En fin de semaine dernière, il y avait environ 2 300 patients en unités de soins intensifs en Allemagne. 78 % d’entre eux étaient équipés d’un respirateur artificiel. Sur le nombre total de lits en soins intensifs, environ 40 % étaient libres jeudi dernier.
Un lièvre court le long des avions immobilisés sur la piste de l’aéroport de Francfort, le 11 avril. MICHAEL PROBST / AP
Polo : Il y a eu en France des critiques sur les chaînes décisionnelles longues, centralisées, qui créent des situations ridicules. Est-ce que le système allemand, bien plus centralisé, a eu des difficultés à répondre plus localement à cette pandémie ?
Je pense que vous vouliez écrire que le système allemand est « bien moins centralisé ». Et effectivement, c’est le cas. A ce stade, je me garderais toutefois de faire un bilan. Au départ, le fédéralisme allemand a plutôt été critiqué à cause des délais qu’il implique en termes de prise de décisions.
Par exemple, dimanche 8 mars, quand le ministre de la santé français, Olivier Véran, a annoncé que « tous les rassemblements de 1 000 personnes [étaie]nt désormais interdits », son homologue allemand, Jens Spahn, a seulement dit, le même jour, qu’il « recommandait » la même mesure.
Pourquoi ? Parce que constitutionnellement le gouvernement fédéral n’a pas le pouvoir de décider d’interdire les rassemblements : c’est une décision qui doit être prise par les Länder. Du coup, dans certains Länder, comme Berlin, il a fallu attendre presque quatre jours pour que la « recommandation » du gouvernement fédéral soit adoptée par les autorités régionales…
Depuis, les choses sont un peu mieux coordonnées, et il y a globalement une harmonisation des décisions. Là où le fédéralisme est parfois mis en avant dans son côté positif, c’est sur la question des hôpitaux, des cliniques et des laboratoires : la santé étant une compétence essentiellement régionale, les régions les plus riches disposent d’un taux d’équipement très élevé en la matière. Or ce sont aussi, pour l’instant, parmi les plus touchées par l’épidémie, comme la Bavière et le Bade-Wurtemberg.
Un membre du personnel soignant dans l’unité de soins réservée aux patients malades du Covid-19 à l’hôpital Havelhoele de Berlin, le 6 avril. FABRIZIO BENSCH / REUTERS
Cesagre : Certaines mesures de confinement prises par le gouvernement fédéral ont été jugées anticonstitutionnelles (ne plus recevoir des gens à domicile, interdiction de rassemblement de plus de deux personnes). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour être précis, ces mesures n’ont pas été « jugées » inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle fédérale. En revanche, certains juristes considèrent qu’elles le sont. Je pense par exemple à l’avocat Niko Härting, professeur honoraire à la Hochschule für Wirtschaft und Recht [université d’économie et de droit], à Berlin, qui s’est exprimé en ce sens dans le Spiegel il y a quelques jours.
Quoi qu’il en soit, ce débat existe en Allemagne, car depuis le début, les juristes – dont la place dans la société allemande est centrale – sont nombreux à veiller de façon très attentive au respect des libertés publiques, et notamment au fait que les mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie ne bouleversent pas les équilibres institutionnels. C’est pour cela, d’ailleurs, que le gouvernement fédéral n’a jamais évoqué la possibilité de recourir à l’état d’urgence, ce que lui permettrait la Loi fondamentale, et ce qui aurait pour effet de limiter le pouvoir des Länder et de centraliser les décisions.
Mais on touche là à quelque chose de très sensible en Allemagne, lié à l’histoire et à la culture politique du pays, où l’idée de concentration des pouvoirs suscite toujours une très grande méfiance. A ce titre, je pense que la popularité exceptionnelle dont jouit aujourd’hui Angela Merkel (environ 80 % d’opinions favorables) est en partie liée au respect qu’a son gouvernement, jusqu’à présent, des équilibres de pouvoirs traditionnels entre l’Etat fédéral et les Länder.
Je suis responsable de ce que j'écris, pas de ce que tu comprends
Re: Le cas allemand
Nadou a écrit:Coronavirus : « Les Allemands continuent à manquer de masques et de combinaisons de protection »
Par rapport au degré d’avancement de l’épidémie de Covid-19, l’Allemagne a pratiqué précocement de nombreux tests. Thomas Wieder, notre correspondant à Berlin, a répondu à vos questions sur les spécificités de la méthode du pays.
Publié aujourd’hui à 15h34, mis à jour à 16h14
TBain de soleil en période de coronavirus le 12 avril, au Volkspark Friedrichshain, à Berlin. ANNEGRET HILSE / REUTERS
Le correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder, a répondu, dans notre direct lundi 13 avril, à vos questions sur l’évolution et la gestion de la crise sanitaire en Allemagne.Alain29 : Comment expliquer le nombre absolu de décès liés au Covid-19 en Allemagne ? Le dépistage a pu améliorer le taux de mortalité mais pas le nombre absolu. Les Allemands auraient-ils une méthode différente pour les comptabiliser ?
Selon le décompte donné ce matin par l’Institut de santé publique Robert-Koch, l’épidémie a fait 2 799 morts en Allemagne, soit en effet beaucoup moins qu’au Royaume-Uni (environ 11 000), qu’en France (14 000), qu’en Espagne (17 000) ou qu’en Italie (20 000). Quant au taux de létalité (c’est-à-dire le nombre de décès rapporté au nombre de cas repérés), celui-ci était beaucoup plus faible en Allemagne qu’ailleurs au début de l’épidémie, mais il s’est un peu rapproché depuis de celui des autres pays.
A cette mortalité plus faible il y a plusieurs explications, dont le dépistage. En effet, celui-ci a été plus massif et plus précoce que dans beaucoup d’autres pays (même si on reste loin du niveau de la Corée du Sud). Cela a permis d’identifier des personnes contaminées assez tôt – et notamment des porteurs asymptomatiques –, et donc de procéder à des mesures d’isolement qui ont sans doute évité une propagation trop rapide du virus, notamment chez les personnes âgées. Car c’est là une des différences importantes avec d’autres pays : la moyenne d’âges des personnes testées positives au Covid-19 en Allemagne est relativement basse : environ 49 ans (en Italie et en France, elle est d’environ 62 ans). A titre de comparaison : 17 % des personnes ayant contracté le virus en Allemagne ont plus de 70 ans, alors qu’elles sont 36 % en Italie.Rv46 : Comment expliquer la différence du nombre de décès entre la France et l’Allemagne, du simple au triple ? Est-ce dû au choix des méthodes de lutte contre la propagation du virus ? Est-ce leur système de santé ?
Quand on regarde les cartes de diffusion de l’épidémie en Allemagne, on observe une relative constance depuis le début. Aujourd’hui, environ 80 000 cas, sur les 123 000 répertoriés dans l’ensemble du pays, se concentrent dans trois Länder (Bavière, Bade-Wurtemberg et Rhénanie-du-Nord-Westphalie), et, à l’intérieur de ces Länder, dans quelques cantons où la concentration de personnes isolées est forte.
Cette stabilité est un indice, car il y a eu dans certaines de ces zones des règles de confinement assez précoces et assez strictes, dont on peut supposer qu’elles ont permis de limiter la diffusion du virus, ou en tout cas de contenir sa propagation sur le plan géographique. Je pense en particulier à la Bavière, le premier des seize Länder à avoir instauré des restrictions de sortie du domicile, lesquelles sont de surcroît plus contraignantes qu’ailleurs.Soizic 22 : Quelles sont les dispositions adoptées en Allemagne qui ont permis à ce pays d’échapper à la catastrophe ? Plus de tests, de masques, de lits ? Mise à l’isolement des malades ?
J’ai déjà en partie répondu à la question des tests et de l’isolement. Je vous répondrai donc plus précisément au sujet des masques et des lits. S’agissant des masques, il y a aussi des problèmes de pénurie, assez comparables à ceux qu’on a observés en France, à la différence près qu’il n’y a pas eu, en Allemagne, de polémique sur le devenir des stocks au cours des dernières années. Aujourd’hui, les Allemands continuent de manquer de masques et de combinaisons de protection, même si la situation semble s’être un peu améliorée.
S’agissant des masques se pose comme ailleurs la question de leur port obligatoire quand viendra l’heure du déconfinement. Pour l’instant, celui-ci n’est obligatoire que dans une seule ville : Iéna, en Thuringe.
Beate Krupka, médecin généraliste, et son stagiaire Jose Persez, effectuent un test de dépistage dans la cour du cabinet médical, dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin, le 8 avril. MICHAEL KAPPELER / AP
L’Allemagne compte environ trente-trois lits en soins intensifs pour 100 000 habitants, quand l’Italie en compte douze, la France onze et l’Espagne dix environ. Cela dit, cette différence n’explique que partiellement le plus faible nombre de morts en Allemagne. Comme je l’ai dit, l’un des points qui semble différencier l’Allemagne d’autres pays comme l’Italie est, pour l’instant, la plus faible proportion de personnes âgées contaminées. Si vous avez moins de personnes à risques qui sont infectées, il est logique qu’il y ait moins de morts.Allemande de cœur : Pourriez-vous nous dire quelle est la situation dans les différents Länder ?
Depuis le début, c’est dans trois Länder de l’ouest du pays, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Cologne, Düsseldorf…), le Bade-Wurtemberg (Stuttgart) et la Bavière (Munich), que l’épidémie est la plus active. Environ 2 000 des 2 800 morts recensés en Allemagne l’ont été dans ces trois régions qui concentrent un peu moins de la moitié de la population du pays. Surtout pour la Bavière et le Bade-Wurtemberg, ce sont les régions les plus riches du pays (en ce sens il y a des analogies avec la Lombardie, en Italie), mais aussi des régions très denses (c’est vrai principalement pour la Rhénanie-du-Nord-Westphalie).
A l’inverse, l’est du pays est toujours beaucoup moins touché. Dès le début, cela a été expliqué par le fait que les densités de population y sont plus faibles et que les habitants y circulent plutôt moins qu’ailleurs. Sur les six plus grands aéroports internationaux qui existent en Allemagne, cinq sont en ex-Allemagne de l’Ouest.Shadok : Qu’en est-il du nombre de personnes hospitalisées et du nombre de personnes en réanimation ? L’Allemagne a-t-elle moins de morts parce qu’il y a moins de contaminés ou bien parce que les patients sont mieux pris en charge ?
En fin de semaine dernière, il y avait environ 2 300 patients en unités de soins intensifs en Allemagne. 78 % d’entre eux étaient équipés d’un respirateur artificiel. Sur le nombre total de lits en soins intensifs, environ 40 % étaient libres jeudi dernier.
Un lièvre court le long des avions immobilisés sur la piste de l’aéroport de Francfort, le 11 avril. MICHAEL PROBST / APPolo : Il y a eu en France des critiques sur les chaînes décisionnelles longues, centralisées, qui créent des situations ridicules. Est-ce que le système allemand, bien plus centralisé, a eu des difficultés à répondre plus localement à cette pandémie ?
Je pense que vous vouliez écrire que le système allemand est « bien moins centralisé ». Et effectivement, c’est le cas. A ce stade, je me garderais toutefois de faire un bilan. Au départ, le fédéralisme allemand a plutôt été critiqué à cause des délais qu’il implique en termes de prise de décisions.
Par exemple, dimanche 8 mars, quand le ministre de la santé français, Olivier Véran, a annoncé que « tous les rassemblements de 1 000 personnes [étaie]nt désormais interdits », son homologue allemand, Jens Spahn, a seulement dit, le même jour, qu’il « recommandait » la même mesure.
Pourquoi ? Parce que constitutionnellement le gouvernement fédéral n’a pas le pouvoir de décider d’interdire les rassemblements : c’est une décision qui doit être prise par les Länder. Du coup, dans certains Länder, comme Berlin, il a fallu attendre presque quatre jours pour que la « recommandation » du gouvernement fédéral soit adoptée par les autorités régionales…
Depuis, les choses sont un peu mieux coordonnées, et il y a globalement une harmonisation des décisions. Là où le fédéralisme est parfois mis en avant dans son côté positif, c’est sur la question des hôpitaux, des cliniques et des laboratoires : la santé étant une compétence essentiellement régionale, les régions les plus riches disposent d’un taux d’équipement très élevé en la matière. Or ce sont aussi, pour l’instant, parmi les plus touchées par l’épidémie, comme la Bavière et le Bade-Wurtemberg.
Un membre du personnel soignant dans l’unité de soins réservée aux patients malades du Covid-19 à l’hôpital Havelhoele de Berlin, le 6 avril. FABRIZIO BENSCH / REUTERSCesagre : Certaines mesures de confinement prises par le gouvernement fédéral ont été jugées anticonstitutionnelles (ne plus recevoir des gens à domicile, interdiction de rassemblement de plus de deux personnes). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour être précis, ces mesures n’ont pas été « jugées » inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle fédérale. En revanche, certains juristes considèrent qu’elles le sont. Je pense par exemple à l’avocat Niko Härting, professeur honoraire à la Hochschule für Wirtschaft und Recht [université d’économie et de droit], à Berlin, qui s’est exprimé en ce sens dans le Spiegel il y a quelques jours.
Quoi qu’il en soit, ce débat existe en Allemagne, car depuis le début, les juristes – dont la place dans la société allemande est centrale – sont nombreux à veiller de façon très attentive au respect des libertés publiques, et notamment au fait que les mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie ne bouleversent pas les équilibres institutionnels. C’est pour cela, d’ailleurs, que le gouvernement fédéral n’a jamais évoqué la possibilité de recourir à l’état d’urgence, ce que lui permettrait la Loi fondamentale, et ce qui aurait pour effet de limiter le pouvoir des Länder et de centraliser les décisions.
Mais on touche là à quelque chose de très sensible en Allemagne, lié à l’histoire et à la culture politique du pays, où l’idée de concentration des pouvoirs suscite toujours une très grande méfiance. A ce titre, je pense que la popularité exceptionnelle dont jouit aujourd’hui Angela Merkel (environ 80 % d’opinions favorables) est en partie liée au respect qu’a son gouvernement, jusqu’à présent, des équilibres de pouvoirs traditionnels entre l’Etat fédéral et les Länder.
Ils sont bien meilleurs que nous -- c'est évident --
Notre vie est un voyage constant, de la naissance à la mort, le paysage change, les gens changent, les besoins se transforment, mais le train continue. La vie, c'est le train, ce n'est pas la gare.
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