Comment tuer Macron chaque matin...........

Comment "tuer" Macron chaque matin
Kamel Daoud - Le Point - 15/11/2018
Du voyeurisme politique.
Macron est aujourd'hui un sujet de choix. S'il ne parle pas, il incarne le roi dans sa divinité, son indifférence ; s'il parle, il rejoue la décapitation avec sa tête dans le panier. Coincés dans nos universels canapés, usant de la télécommande comme aboutissement du darwinisme, comme fin de l'Histoire et imitation du divin, nous attendons que cet homme dise quelque chose et qu'on reprenne ce qu'il a dit pour se shooter avec le court cycle numérique du scandale, du procès, de l'indignation et qui se clôt par le verdict du tweet pour soutenir ou se démarquer et oublier. C'est un jeu vidéo en soi. Un « shoot them all ». Ce voyeurisme international proposé par Internet et les réseaux est méchant, sanguinaire, paresseux quand il vise l'homme public. Il transforme la démocratie en clip sur YouTube.
Macron a eu ce malheur de devenir président à l'époque des fake news et des partages. Il est président entre deux époques : celle de la fin du portrait officiel en pied et de la déclaration étudiée, pour empiéter sur celle du clic et du partage. Aujourd'hui, le Big Brother est le peuple voyeur, et l'homme surveillé dans ses moindres faits et gestes est le président. De l'univers orwellien mais inversé.
Kennedysme.
De quoi est encore coupable cet homme pour les juges munis de la télécommande, souverains par le clic ? D'abord de son kennedysme. Il est jeune, président, en bonne santé. Son épopée appelle le meurtre. Symbolique, s'entend. On aime jouer à l'Oswald alors pour lui tirer dessus quand il passe sur nos écrans. On aime se cacher dans un entrepôt imaginaire, suivre de l'œil le convoi de sa sortie publique, tirer et s'enfuir. D'ailleurs, comme pour Lee Harvey Oswald, personne n'est sûr que c'est Lee Harvey Oswald, que c'est moi, que c'est vous. On se perd en théories pour savoir qui veut « tuer » chaque matin Macron, si cliquer, c'est tuer ou seulement zapper, et si Oswald n'est pas seulement un artifice, un nom générique, le pseudonyme de chacun.
Ensuite, ce président est jeune. Ce qui transforme toute déclaration faite par lui sur la mémoire, ou l'Histoire, ou les figures de l'Histoire, en insolence. Mitterrand peut parler de Pétain sans se faire décapiter car il s'agit des irrévérences ou des franchises d'un troisième âge politique. Mais, pour le jeune président d'aujourd'hui, cela n'est pas possible. On lui suppose de l'Œdipe là où il y a seulement, peut-être, une vision libérée du passé ou de la maladresse. Ou même de l'ignorance. Alors on s'indigne, on se révolte. D'ailleurs, c'est une théorie du chroniqueur : le kennedysme appelle le tueur, mais aussi impose ses règles pour le genre : on doit se faire élire jeune, on doit mourir jeune, on se « che-guevarise » dans ce moment bref et intense de son élection au destin et on s'offre une balle dans le dos et un mythe de jouvence éternelle.
Buzz.
Par ailleurs, la fonction présidentielle a ses lois : si on se fait élire jeune, il faut mourir jeune. Et si on se fait élire vieux, on doit y rester le plus longtemps possible, incarner l'éternité justement en convertissant le vieillissement. Les peuples ont besoin de pères de la nation et de fils sacrifiés. C'est là aussi la loi du genre et du récit collectif. À la fin, le buzz peut être qualifié comme nouvelle religion. Cliquer, c'est voter. Partager, c'est dénoncer ou même lapider. La seule façon, pour le moment, d'échapper à la facture numérique quand on est politicien, c'est de faire le clown. Le buzz devient alors un bénéfice et pas un procès. Trump le sait. Macron doit donc trouver une autre solution et réinventer la communication présidentielle à l'heure de la paresse et de l'impossibilité de tout contrôler"